Que le rire est bon pour la santé, les médecins de l’Antiquité, comme Hippocrate et Galien, le disaient déjà. Mais les progrès de la science permettent aujourd’hui d’expliquer comment et pourquoi…

Peut-on frissonner de peur ? trembler d’amour ? se tordre de rire ? Bref, une pensée peut-elle entraîner une réaction du corps ? la réponse est oui… Car si l’on excepte les chatouilles, le rire est bien la réponse physiologique à une idée : à la représentation qu’offre l’imitateur, aux jeux de mots de l’humoriste, aux images que font surgir dans notre esprit les blagues, les sketches, les situations comiques. Soudain, on éclate de rire, on pleure de rire, on rit à perdre à haleine. À perdre haleine car le rire est une succession d’expirations saccadées, entrecoupées d’inspirations plus courtes – juste de quoi reprendre sa respiration. Et « on se tient les côtes »…

Une gymnastique douce

De quoi s’agit-il ? Le rire est désormais bien connu physiologiquement : il met en jeu le cortex cérébral puis les centres moteurs du thalamus et de l’hypothalamus qui permettront de déclencher le réflexe mécanique et neurovégétatif du rire. Le rire est une réponse physique involontaire à une émotion plaisante, un réflexe à une stimulation psychique. Le rythme cardiaque augmente, tandis que la pression artérielle diminue, car les muscles des artères se dilatent à cause du rire.
Une étude américaine a montré en 2005 que le visionnage d’une comédie augmentait le flux sanguin de 22 %. C’est d’ailleurs l’augmentation du flux sanguin qui explique que nos joues rougissent lorsque nous rions. Par ailleurs, les bronches pouvant s’ouvrir davantage, la ventilation pulmonaire augmente. Aussi le rire permet-il d’oxygéner l’organisme, de réduire les tensions musculaires, de masser les côtes, de faire travailler le diaphragme. « Le rire agit comme une gymnastique douce du diaphragme avec une onde qui va se diffuser du visage aux muscles de proche en proche : dans les épaules, les abdominaux, les cuisses, les pieds » explique le Dr Henri Rubinstein, neurologue, spécialiste de l’exploration du système nerveux et auteur de “Psychosomatique du rire – Rire pour guérir”. Tous muscles se détendent et c’est la raison pour laquelle on ne tient pas bien debout quand on rit. Le rire agit aussi comme un massage des abdominaux et c’est pourquoi on a tendance à se tenir le ventre et se tordre de rire. Avec des bienfaits collatéraux plutôt inattendus : le rire favorise la digestion et contribue à lutter contre la constipation… Ainsi, la mécanique du rire a de nombreux effets physiques : l’augmentation de la ventilation crée un afflux de lymphocytes au niveau des alvéoles pulmonaires, ce qui contribue au bon fonctionnement du système immunitaire, prévient et guérit les infections.
Des expérimentations consistant à mesurer, dans le sang ou la salive, les taux de divers composants du système immunitaire chez des sujets venant de visionner des films comiques, ont montré également une baisse des taux de cortisol, une hormone associée au stress, et une augmentation des taux d’hormone de croissance et de l’activité de différents marqueurs de l’immunité, avec un effet allant jusqu’à 12 heures. Car le rire entraîne des modifications dans la production des substances chimiques de notre corps…

Une fabrique à neuromédiateurs

« Le rire est un réflexe complexe qui met en branle le système parasympathique et combat les effets du système sympathique, explique le Dr Rubinstein. Un corps en bonne santé est un corps dans lequel les systèmes sympathique et parasympathique sont en équilibre. Le stress fait prédominer le système sympathique ; la détente au contraire le système parasympathique. Le rire, mais aussi toutes les émotions liées au plaisir, servent à protéger l’organisme en rétablissant l’équilibre. En effet, quand on rit, on met le cerveau au travail, on fabrique des neuromédiateurs.»
Les neuromédiateurs sont des substances chimiques naturellement présentes et liées aux activités humaines :
au mouvement et à la motricité correspond la dopamine, à la mémoire l’acétylcholine, à la réflexion mentale l’adrénaline, etc.
Mais les émotions en augmentent les quantités. Ainsi la joie entraîne la fabrication de sérotonine en plus grande quantité, la douleur la fabrication d’endorphines supplémentaires. Il se trouve que le rire permet lui aussi d’augmenter notre production d’endorphines, ces morphines naturelles aux propriétés antidouleur et calmantes. Et il permet également de fabriquer des anti-inflammatoires naturels.
Norman Cousins a été le premier, en 1964, à expérimenter scientifiquement une thérapie par le rire alors qu’il souffrait d’une maladie arthritique très douloureuse et considérée comme irréversible. Par le rire, il a guéri et fait connaître à la communauté médicale et au grand public les résultats de son expérience dans un article publié dans le “New England Journal of Medicine” en 1976.
Depuis, l’imagerie médicale a pu confirmer que, lorsqu’on rit, l’hypothalamus libère, entre autres, la production d’endorphines et montrer que le rapport entre rire et analgésie est chimiquement observable.

Les gens qui rient vivent plus longtemps !

Plusieurs études ont montré que les personnes qui ont le moral et qui rient plus que les autres présentent moins de pathologies graves. Le rire est un mécanisme antistress général qui renforce les défenses en retardant l’usure de l’organisme. Celles et ceux qui ont un fort sens de l’humour sont protégés contre l’infarctus du myocarde. Une étude menée au Danemark auprès de patients suivis pour une maladie cardiovasculaire a constaté une mortalité inférieure de 42 % chez les personnes ayant un bon moral.
Les psychologues de la Mayo Clinic, dans une étude menée de 1960 à 1990, ont montré quant à eux que les personnes optimistes vivaient en moyenne 19 % plus longtemps que les pessimistes et avec des capacités physiques et une qualité de vie nettement meilleures. D’autres, comme le sociologue Ruut Veenhoven, ont calculé que les gens très satisfaits gagneraient entre 7 et 10 années de vie supplémentaire parce qu’ils résisteraient mieux aux maladies. Mais si le rire allonge l’espérance de vie il permet surtout de mieux vivre : les gens qui ont un plus grand sens de l’humour sont moins ébranlés par les expériences stressantes et les épreuves, ils ont une meilleure estime d’eux-mêmes, ils sont plus sociables, ils sont plus entourés…

Des effets antalgiques

C’est ainsi que la stimulation d’endorphines a commencé à être utilisée à des fins thérapeutiques à partir des années 1980, avec le Docteur Patch Adams, aux EtatsUnis, qui le premier soigne ses patients vêtu d’un habit de clown… Aujourd’hui, dans des hôpitaux un peu partout à travers le monde, les patients peuvent bénéficier de la présence de clowns thérapeutiques ou de clowns professionnels.
Il faut savoir qu’en France, les services pédiatriques où l’association “Le Rire Médecin” intervient voient diminuer de près de 30 % la consommation d’antalgiques, ce qui est considérable et la preuve d’un des nombreux effets du rire. Avec les clowns, l’enfant hospitalisé est un enfant avant d’être un malade. Il retrouve du plaisir, de la gaieté et ceci permet de réduire la consommation d’antalgiques mais participe de surcroît au processus thérapeutique de la guérison. Si bien que le rire est aussi “prescrit” pour les adultes, dans différents services, par exemple dans les services de grands brûlés de l’hôpital Trousseau à Paris et des CHU de Nantes et Nancy.

Des effets antidépresseurs

Le rire est en outre un puissant antidépresseur, en raison de l’augmentation de la production de sérotonine, mais pas seulement. « Rire 2 à 3 minutes par jour équivaut à 30 minutes de relaxation. Le mécanisme du rire, qui se décompose en une inspiration brève suivie d’un plateau respiratoire et d’une longue expiration saccadée, est le même que celui de la respiration du yoga. La seule différence, c’est l’expiration saccadée » indique le Dr Rubinstein. C’est ce qui explique que le rire relaxe, diminue l’anxiété, améliore le sommeil. Ensuite, il y a les effets psychologiques. Hippocrate, consulté par les habitants de la ville d’Abdère inquiets de voir Démocrite rire toujours, avait déjà en son temps affirmé que le rire est non seulement curatif mais un signe de santé mentale. Il permet de mettre entre parenthèses les affects. Il anesthésie aussi bien au sens propre qu’au sens figuré. Freud y voyait le moyen de supporter les contraintes de nos sociétés, de se libérer, le temps du rire, des carcans, des conventions, des émotions comme la colère dont on sait aujourd’hui grâce à la neurobiologie qu’elles nous font sécréter des neuromédiateurs néfastes pour notre équilibre.
« En créant une barrière psychologique face aux agressions de quelque nature qu’elles soient, le rire prévient la création de mécanismes mortifères, qui, eux-mêmes, sont responsables de baisse des défenses, donc de maladies. » estime le Dr Rubinstein. Et cette barrière, c’est avant tout une façon optimiste de voir les choses…

 

Source : Bonne Santé Mutualiste n° 69, avril 2015